Premiers déplacements

A notre époque où tout le monde est pressé, où la « compétition » prévaut…vous allez entendre beaucoup de « il/elle ne tient pas encore assis ? », « et il/elle marche à quatre pattes, là ? »,  « quoi ? Il/elle ne marche pas encore ?? Ma fille/voisine/cousine a marché à 9 mois, vous savez !! »

Quand on parle de la façon dont nos enfants se déplacent, on nous répond souvent coussins/transat pour maintenir les enfants dans la position assise, « youpala »…
Et si, tout simplement, on répondait : le sol !!!!
En effet, à côté de l’approche « classique » de l’apprentissage de la motricité existe une vision radicalement différente de la motricité : la liberté motrice. Cette approche est née des travaux d’Emi Pickler, qui dirigeait dans les années 60/70 la pouponnière de Loczy à Budapest. Elle prônait entre autre une présence attentive du personnel, mais non interventionniste. Son exemple a fait des petits, mais pas autant qu’il  l’aurait mérité et c’est bien regrettable.

La liberté motrice, qu’est-ce que c’est ?
Le grand principe de la liberté motrice est très simple : il s’agit de ne jamais mettre l’enfant dans une position qu’il ne maîtrise pas et qu’il ne sait pas adopter de lui-même. Simple mais révolutionnaire ! On va donc partir de la position qui nous vient naturellement et instinctivement quand on pose son bébé : sur le dos !

Quand le bébé en fait la demande (et c’est bien souvent très facile à remarquer, vu l’agitation qu’il peut manifester quand il finit par en avoir assez d’être dans les bras) ou simplement quand il est calme et que vous vous sentez détendue, posez-le au sol, sur le dos (sur un petit tapis doux, pour son confort) et laissez-le découvrir le monde !! Ne cherchez surtout pas à le placer dans une position qu’il ne sait pas adopter tout seul il apprendra de lui-même à le faire.

Les inconvénients de l’approche classique, ou le bébé tuteuré
N’y allons pas par quatre chemins : il n’est pas recommandé de mettre un enfant dans une position qu’il ne sait pas atteindre de lui-même, car physiologiquement, son système musculaire n’est pas prêt à supporter les efforts que lui demande le maintien de cette position. Si vous le placez sur le ventre alors qu’il ne sait pas se retourner, il va faire de violents efforts pour redresser sa tête, sollicitant ainsi les muscles de sa nuque avant l’heure (pourtant de nombreux professionnels recommandent encore de mettre très tôt l’enfant sur le ventre, pour lui faire faire sa gym ! Horreur ! Non sens absolu !). Si vous l’asseyez avant qu’il se soit assis de lui-même, il va avoir du mal à tenir son dos, et va se fatiguer très rapidement, sa musculature dorsale n’étant pas encore assez solide. Si vous le placez dans un trotteur, il va peut-être apprécier le nouvel amusement mais ses jambes et son dos vont souffrir de cette stimulation trop précoce.

Les grandes étapes de l’acquisition de la motricité chez le bébé en liberté motrice

Un bébé laissé en toute liberté va évoluer à son rythme, en toute tranquillité, en fonction de ses envies à lui ! Il va peut-être passer des semaines à rêvasser, le nez vers le plafond, ou alors se révéler être un grand curieux et partir à la découverte du monde très rapidement… Le rythme de chacun est très différent et connaît de grandes variations mais on peut quand même remarquer un ordre d’acquisition. Le bébé placé sur le dos va tout d’abord se mettre sur le côté, puis se maintenir sur le côté. Puis il va se retourner sur le ventre, première grande étape, toujours émouvante ! D‘abord accidentellement, puis de façon volontaire. Ensuite quelques semaines ou mois après, il va se retourner du ventre vers le dos. Muni de ces deux moyens de mobilisation de son corps, il va pouvoir se lancer à l’assaut de son environnement, par un ingénieux système de roulé-boulé, toujours amusant à regarder. Chez nous on appelle ça le « rolling bébé » ! A la suite de ça il va apprendre à ramper, là les styles sont très variables, à vous d’admirer le style particulier de votre bébé, c’est vraiment un plaisir ! Puis il va apprendre à se déplacer à quatre pattes (et non pas en se traînant sur les fesses, ce qui est parfois le cas d’enfants ayant été placés  assis trop tôt). Ensuite, partant de la position « à quatre pattes », il va se dresser sur les genoux, et parallèlement, passer en position assise. Par la suite il se mettra debout, puis élargira le champ de ses investigations en marchant, d’abord en se tenant, puis sans se tenir !

tableau

Ci-dessus le tableau regroupant les étapes d’acquisition des 600 enfants sur lesquels portait l’étude d’Emi Pickler, tous laissés en liberté motrice.

L’attitude des parents
Tout comme Emi Pickler recommandait au personnel d’être attentif mais pas interventionniste, il en va de même avec votre enfant. Il n’est pas question de laisser l’enfant abandonné à son triste sort par terre, mais de l’accompagner, verbaliser ses efforts ou son bien-être, rester à côté de lui, le regarder, lui sourire, bref avoir du plaisir à constater tout ce dont il est capable par lui-même, bien loin d’un esprit de challenge ! Cette attitude est très peu comprise par l’entourage, qui ne saisit pas pourquoi on refuse les transats et autres trotteurs. Et pourtant cette approche est la plus simple et la plus décroissante possible, étant donné qu’on n’a besoin de rien, juste une serviette ou une couverture pour protéger son bébé du froid du sol. Ou alors son écharpe de portage ! Il est à noter que les deux seuls cas où on doit intervenir, c’est quand l’enfant se met dans une position où il se retrouve coincé : lorsque sur le ventre il ne sait pas encore se remettre sur le dos et manifeste son inconfort, et lorsque se tenant debout en appui sur quelque chose, il n’arrive pas à se rasseoir lui-même. Dans ces deux cason peut et même on doit l’aider.

La pratique de l’HIN a une certaine incidence sur la motricité du bébé. La liberté de mouvement laissée au tout petit  qui ne porte pas de couche lui permet  de se mouvoir quand il le souhaite, au moment où il s’en sent l’envie et la capacité.

Mais dans le fond, pourquoi la liberté motrice ?

C’est vrai, beaucoup de parents constatent de la part de leur tout petit une sorte de frustration à ne pas se mouvoir comme ils voudraient. On entend beaucoup : C’est lui qui veut… (au choix : s’asseoir, se lever, marcher…). Et on répond souvent trop vite et de façon inopportune à cette envie d’aller au-delà de ses possibilités. Il faut considérer cette frustration et cette envie comme naturelles, et participant au développement de l’être humain. C’est la frustration, la formidable envie de découvrir le monde, qui est le moteur de toutes les acquisitions. Le bébé a envie d’attraper un objet situé hors de son champ d’action, il va donc chercher en lui les ressources pour le faire, pour se déplacer, d’abord en roulant, puis en rampant. Puis il va avoir envie de se poster à la verticale, donc cherchera à s’asseoir. Et enfin il aura envie de se déplacer de manière efficace, tout en disposant de ses mains, donc il apprendra à marcher. En évitant de le tuteurer, en le laissant chercher lui-même des solutions à ses problèmes, on le place dans une position d’acteur de son propre développement. Même si il manifeste  sa frustration de façon énergique, on lui rend service, et on concourt à bâtir sa propre estime de lui-même et finalement on lui donne à la fois la confiance en lui, et les moyens de trouver ses propres solutions. Il est évident que si l’enfant est sans cesse aidé, il finira quand même tôt ou tard par marcher, mais ce sera en ayant fait l’économie de cette avidité à s’approprier lui-même son environnement, tandis que l’enfant laissé en liberté motrice aura découvert en même temps que ses acquisitions motrices une chose simple mais qui ne va pas de soi : il est capable, lui, librement.