Naissance à la maison

Pour le récit de cette expérience formidable, nous laissons la parole à Sophie.

Récit de mon accouchement intime

Si je devais commencer par le commencement, je dirais qu’un voyage dans le désert était à l’aube de la conception de notre bébé : pas programmé ni prévu mais très certainement désiré, ce bébé s’est nourri durant 9 mois, de soleil, de ballades, d’eau des rivières des Cévennes, mais aussi a traversé avec moi des épreuves personnelles difficiles : tout cela pour dire que rien n’est jamais tout rose dans une grossesse, mais que cela n’empêche pas au bébé de bien se développer, pour peu qu’on ne reste pas impuissant face à l’adversité.
Je n’oublie pas l’accompagnement de notre sage femme, Françoise, présente et à la fois d’une discrétion incroyable, pas d’inquisition, pas d’intervention, que des regards posés sur nos vies et sur notre chemin de parents naissant pour la deuxième fois.

Pourquoi un accouchement à la maison me direz vous ? Comme pour beaucoup, l’histoire d’un premier accouchement à l’hôpital, l’inhumanité, la froideur, un personnel à la fois prisonnier et complice d’un système hypermédicalisé, un corps qui m’échappe et que je vois, impuissante, se faire manipuler et diriger contre lui même, contre moi même, mais aussi une fragilité personnelle et la certitude, que, moi, Sophie, je me sens vraiment plus en sécurité chez moi, plus libre, en pleine possession de mes moyens. Je ne m’appesantirai pas sur cette première expérience difficile mais révélatrice, car de ces moments, je veux garder le meilleur, Tanguy, notre fils, posé sur mon ventre qui gémit doucement de ce long parcours plein d’embûches, un moment indicible de bonheur et la certitude que déjà, c’est le plus beau bébé du monde : le massage indien m’aidera, nous aidera à sortir de cela au fil des semaines qui suivront sa naissance. Oui, le meilleur, un petit garçon merveilleux, d’une vivacité et d’une tonicité incroyable, un regard pointu sur ce qui l’entoure, comme si tout cela ne l’avait jamais atteint.

Enfin, le récit de cette journée incroyable

La veille, 10 octobre, une sorte d’excitation intense, je ris, je plaisante, je me fâche soudain, comme si les sentiments m’échappaient. La nuit me donnera raison, des tiraillement intenses, toutes les ½ h environ, je me tords le cou à regarder le réveil : j’ai tellement eu de contractions durant cette grossesse que j’ai peur de ne pas voir venir les choses : mais là, ça continue, pas régulièrement, mais je dois m’étirer à chaque fois pour diminuer la douleur. Je vais finalement prendre un bain pour me détendre. J’ai en fait perdu le bouchon muqueux durant la nuit, je ne me trompais pas. Je laisse Thierry dormir, je vais voir Tanguy qui dort tranquillement : je savoure ces quelques instants où je suis encore seule à savoir. Tanguy se lève réclame son biberon, que je prépare tranquillement, je lui dis alors qu’il va probablement aller voir ses parrains aujourd’hui car le bébé va arriver : il est tout content … car il va voir son copain Paulo.
Je téléphone à la sage femme, Françoise, je lui décris mes sensations : oui, je peux prendre un petit déjeuner comme j’aime ; on convient de se recontacter en fin de matinée. Tout semble aller doucement et mes contractions semblent s’être estompées maintenant que je suis debout : est ce bien aujourd’hui 11 octobre que tout cela va arriver ? ? ?
Thierry, s’est levé, un peu hagard, un peu étonné, n’ayant rien deviné, il a dormi sans se rendre compte de rien. La matinée se passe doucement, à écouter mon corps.
12h, je téléphone à Françoise qui est au Nord de Paris, oui, ça continue toujours, à un rythme tranquille, des contractions irrégulières mais certaines, ttes les ½, ¼ d’heure, je ne sais plus trop, je ne regarde plus l’horloge ; je lui demande si je peux manger, oui, bien sûr, me dit elle, un plat énorme de riz assaisonné comme j’aime, le bonheur. Début d’après midi, je fais comprendre à Thierry qu’il est temps d’accompagner Tanguy chez ses parrains, il ne comprend pas trop, j’insiste puis il passe un coup de fil et habille notre fils, tout excité et content de partir apparemment : j’ai envie de les accompagner, mais les contractions me font prendre des postures un peu bizarres à chaque fois et dans la rue, ça ferait mauvais effet. J’embrasse pour la dernière fois notre fils unique.

Françoise me téléphone, elle arrive pour me voir et déposer son matériel. On n’avait pourtant pas convenu qu’elle arriverait déjà, mais je la soupçonne d’un sixième sens bien aiguisé : je suis soulagée de la savoir prés de moi maintenant. Thierry revient lui aussi, en courant, il ne voulait pas me laisser tte seule. Les contractions se font plus aiguës et pourtant je garde de ces moments un parfum de tranquillité, ¼ h, 10 mn entre chaque contraction me permettent de récupérer complètement mais aussi de marcher, de vaquer à mes occupations, de discuter avec Françoise et de plaisanter avec mon mari, très occupé à nettoyer 2 baignoires (on ne sait jamais) pour le premier bain du bébé.
On écoute le cœur du bébé, juste comme ça, parcequ’il bouge tout le temps, donc tout va bien pour lui. Et mon col ? ? ? Où en est il ? Je me demande, j’ai peur de n’être qu’au tout début. Je veux regarder quand même : 4-5, oui, le travail est bien entamé : et là tout s’organise tout d’un coup : on pose l’alèse et un gros drap de coton sur le matelas du salon. Je tente de m’étirer de plus en plus sur un petit tabouret. A chaque contraction, notre conversation s’interrompt et Françoise respire en même temps que moi, cela m’apaise, elle est à mon écoute, elle semble entendre ma douleur sans que je fasse aucun bruit. Puis plus de conversation du tout, juste de la musique, Boubacar Traoré que j’adore..

En tout et pour tout, on ne regardera au monito que 2 fois le cœur du bébé, qui se porte comme un charme, réagissant au contact froid du gel sur le capteur et à la main de son papa même en pleine contraction.
On essaie des massages sur le bas du dos. Puis finalement, j’en reviens aux étirements sur le tabouret avec Thierry derrière moi qui me tient sous les bras et m’étire à chaque contraction. Je respire, de longues inspirations, tout le travail que j’ai fait en Yoga remonte à la surface sans que je décide quoi que ce soit. Merci Bernadette, ma prof vénérée(elle se reconnaîtra), le hasard voudra que Françoise et elle se rencontrent ce même jour et donc qu’elle soit au courant de mon accouchement en cours.
De petits gémissements s’échappent maintenant : ils ressemblent étrangement à des gémissements de … plaisir. Je me laisse aller, dans les bras de mon homme… et repose ma tête sur ses bras à chaque intermède, comme droguée. 4mn dis Thierry, le gardien du temps. Moi j’ai perdu toute notion de cette mesure. Quand je pense qu’il doutait de sa présence lors de cet accouchement et moi encore plus il y a 15 jours à peine : comme dira Françoise, il s’est laissé apprivoiser au fil du travail, embauché un peu malgré lui dans cette aventure incroyable.

Je sens un peu de liquide s’échapper de moi, sans doute la poche des eaux qui s’est rompue.
Là, je viens me poser à quatre pattes sur le matelas, un gros coussin devant moi après avoir enfilé une tenue plus légère et il me semble que Françoise s’est également changée. Thierry s’est installé sur les conseils de Françoise, devant moi et je continue à m’agripper à lui à chaque vague. Je perds les eaux pour de bon cette fois ci, mon corps semble vouloir se vider de tte substance. Françoise est là, je sens son regard lumineux et bienveillant, avide de chaque signe de mon corps et pourtant elle reste à distance, ne se rapprochant que pour me libérer de quelque inconvénient qui pourrait m’entraver.

La douleur devient intense, me submergeant totalement, je ne sais plus où je suis, où j’en suis. Chaque contraction semble me labourer et me retourner. Je parle , appelle Dieu, appelle à l’aide quelqu’un. Oui, que ça fait mal. Oui et puis tout d’un coup cette sensation, mon dos qui se tord, je ne sais plus dans quel sens : mon bassin qui s’ouvre, je sens le bébé qui descend tout d’un coup et mon ventre qui se serre violemment. Là le doute : il ne passera jamais « je n’y arriverai jamais », Un mot de Françoise, ma fée bienveillante « mais si Sophie, c’est très bien ce que tu fais avec ton bébé ». Thierry me caresse les cheveux doucement lors d’un intermède, j’ai la tête posée sur le coussin, comme dans une sorte de comas et pourtant je suis très consciente de tout ce qui se passe et même des derniers mouvements de mon bébé dans mon ventre, qui me fait signe que tout va bien. En trois ou quatre contractions le bébé est sur le périnée, je pousse avec un gémissement rauque, je lui dis qu’il faut sortir maintenant. Une force incommensurable me submerge et sur une dernière poussée, je sens sa tête qui passe au milieu de mon corps qui s’est ouvert pour lui laisser passage. Puis les épaules. Françoise surveille ce que je ne peux pas voir et cela me rassure, me délivre. Je dis à Thierry, que ça y est, le bébé est là, lui qui en sait encore moins que moi, qui ne voit strictement rien.

Oui, le bébé est bien sorti, je le sens bouger, non plus dans mon ventre, mais entre mes mollets : de petits gémissements tout doux m’indique qu’il respire sans problème, que tout va bien pour lui. J’exulte. J’attends encore un peu avant de le voir, je savoure ces derniers instants à ne pas savoir encore à quoi il ressemble tout en le sachant « sorti d’affaire ». Je m’écarte doucement, il est encore attaché à moi par le cordon, je le regarde doucement, je ne veux pas lui faire mal : oui c’est bien une fille, j’ai voulu attendre ce moment avant de savoir, Thierry m’annonce qu’il savait, mais il a su respecter mon choix. Et déjà je dis combien elle est belle, combien elle est magnifique : puis je m’écarte sur le côté et la prends sur mon ventre, Françoise nous couvre de draps et d’attentions. Nous regardons l’heure, 20h précise, la nuit est tombée et Roxane, « Aurore lumineuse » en perse, vient de s’,,éveiller à la vie aérienne. Il y a des bougies et une lumière douce que Thierry avait installées peu de temps auparavant.
Françoise s’occupe du placenta qu’elle sort sans avoir coupé le cordon, je n’ai qu’une petite déchirure qui ne mérite même pas un point, je n’ai même pas mal. Cela s’affaire autour de moi, mais moi je ne fais plus rien, je savoure ces instants incroyables avec un petit bébé accroché à mon sein et qui regarde, étonné, tranquille, autour d’elle. Thierry m’entoure et admire avec moi ce miracle. Françoise vérifie que tout va bien, oui, tout va bien, le bébé est parfait, toute rose, toute épanouie. Oui, c’est vrai qu’elle est belle, me dit elle.
J’entends Thierry téléphoner à nos familles et prononcer le prénom de notre bébé pour la première fois : oui ce sera bien Roxane. Tanguy, lui, n’est pas pressé de voir sa petite sœur et préfère rester avec Paulo : il viendra nous rejoindre demain. Nous buvons une coupe de champagne que Thierry avait préparé pour l’occasion.
Les sanglots et les émotions me submergent et je ne cesse de regarder ce nouvel être, sa perfection, sa douceur, son odeur, jusqu’à sa « coiffure » tellement parfaite, comme un smoking de James Bond, alors qu’il vient de faire de la plongée : ses cheveux fins et blonds recouvrent son crâne dans un mouvement « spirale » d’une incroyable régularité, comme si elle s’était peignée méticuleusement avant sa « sortie ».

Finalement, nous regagnons notre chambre et notre lit après une toilette sommaire, le bain du bébé, on a oublié et puis ce parfum de naissance est vraiment enivrant, on ne veut pas s’en défaire tout de suite. Françoise s’en ira discrètement après avoir vérifié que tout allait bien. Je ne vais pas cesser durant la nuit, de « humer » la tête de notre bébé, de la respirer dans un geste presque animal. Elle s’endormira vers 2 heures du matin et ne se réveillera que 7h plus tard (elle n’a malheureusement pas renouvelé cet exploit). Nous, je crois qu’on a pas trop dormi cette nuit là, ébahis de tant d’émotions, de ce petit être auquel je viens de donner naissance : oui, je l’ai fait, avec Thierry, accompagnée de Françoise, de quelques anges gardiens, accompagnée de mes rêves, de mon histoire, de mon savoir conscient, inconscient, archaïque, tout cela mélangé, avec la sensation que cet événement, bien loin d’être épuisant, m’a donné une force et une confiance inépuisable pour l’avenir, aussi bien dans ma relation avec ma fille, que pour moi et ma petite famille. Je pense à ceux qui m’ont fait confiance dans ce choix controversé en France aujourd’hui, ma mère et mon père, qui étaient au courant et m’ont laissée libre dans ce chemin.

Ce récit est le mien,

loin d’être exhaustif et juste dans la chronologie, mais juste dans les émotions, c’est certain. Et si j’ai commencé ce récit par ce voyage dans le désert, ce n’est pas pour rien. Mon accouchement a ressemblé étrangement à une marche dans le désert : on se demande où est la fin, quand est ce qu’on arrivera au camp, car les paysages se succèdent sans repères : le doute nous submerge alors, savoir si on y arrivera et quand, la notion de temps et d’espace étant totalement dissolue. La nuit tombe et seule une petite lumière au loin nous indique que le campement est là. Heureusement, le guide est là, qui connaît le chemin. Et finalement on rejoint les tentes, tout fiers d’y être arrivé……

Sophie maman de Tanguy (99) et Roxane (11/10/03)
Le papa, Thierry